Résumé
En se basant sur les archives de la presse socialiste, l’étude des rapports entretenus par les socialistes avec l’image de Jeanne d’Arc révèle leur forte implication dans la polémique qui se développe entre 1890 et 1914 autour de son héritage politique. En effet, il existe un modèle socialiste de Jeanne d’Arc. Puisé dans la tradition historiographique laïque de la première moitié du XIXe siècle, il est défini par son appartenance au monde populaire, et placé dans le panthéon de la gauche, aux côtés des révolutionnaires de 1789 et des communard de 1871. Il se définit aussi par rapport aux ennemis réactionnaires des intellectuels socialistes, catholiques comme nationalistes. La Jeanne défendue par La Petite République et L’Humanité est présentée comme annonciatrice des luttes sociales de la IIIe République. Elle n’est pas un lointain thème esthétique, mais est engagée dans les problèmes modernes, et a une fonction dans la propagande. Les socialistes sont alors les véritables animateurs de la Jeanne de gauche, les radicaux étant souvent proches de la vision républicaine plus centriste qui la considère comme un symbole capable d’unir toute la nation. Or, du fait de l’extrême polarisation politique et idéologique de la période, elle s’oppose frontalement à la conception réactionnaire, catholique, antisémite et militariste de l’héroïne. Les socialistes s’avèrent inaptes à promouvoir efficacement un modèle qui est avant tout celui d’intellectuels, quand le phénomène nationaliste et le processus de canonisation établissent la figure réactionnaire dans l’opinion. Revendiquée par des camps antagonistes, Jeanne d’Arc est finalement accaparée, peu avant la Guerre, par la réaction.